Les grands noms de l’art de la gastronomie : Brillat-Savarin
Éditorial et humeur - 20 sept. 19
Dans sept ans, nous célébrerons le 200e anniversaire de la mort de Jean Anthelme Brillat-Savarin, né le 1er avril 1755 à Belley. Avocat et magistrat de profession, il est néanmoins un véritable gourmet et fait toujours référence auprès des cuisiniers. Il reste pour beaucoup associé à quelques chefs-d’œuvre, sans compter le fromage qui porte son nom pour honorer sa mémoire. Décédé le 2 février 1826 à Paris, il est enterré au cimetière du Père-Lachaise.
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Jean Anthelme Brillat-Savarin est né en 1755 dans une famille bourgeoise qui servait la France dans la magistrature de père en fils. À cette époque, le Rhône séparait la France de la Savoie. Sa maison natale existe encore à Belley (Grand Rue), où il a aussi sa rue et sa statue. En 1733, Marc Anthelme, le père de Jean Anthelme, a hérité de la totalité des biens de sa grand-tante et marraine, Marie Gasparde Savarin, sous réserve que son nom de Savarin soit ajouté à celui de Brillat et que cette pratique soit transmise de fils aîné en fils aîné. Voilà l’explication de son patronyme.
Aîné de huit enfants, la mère de Jean Anthelme Brillat-Savarin était un cordon-bleu et lui-même n’était pas loin d’en être un.
Succès posthume de la “Physiologie du goût”
Brillat-Savarin a disparu sans se douter du succès universel que sa Physiologie du goût, ou méditations de gastronomie transcendante, recueil publié à compte d’auteur deux mois avant sa mort, rencontrerait. Il n’y a pas donné de recettes, mais y a livré des méditations gastronomiques scientifiques et philosophiques, des anecdotes qui reflétaient les mœurs de la société de l’Empire, très gourmande. “Aucun auteur n’avait su donner à la phrase française un relief aussi vigoureux” depuis le XVIe siècle, témoigne Balzac, enthousiaste.
“Livre divin, écrivait le critique Hoffmann, qui a porté à l’art de manger le flambeau du génie.”
Antonin Carême, lui, manifesta de la jalousie et, Baudelaire, du mépris.
Brillat-Savarin voulait faire de l’art culinaire une véritable science et a procédé à une analyse de la mécanique du goût et des liens ancestraux qui unissent la gastronomie à la culture française. Il a commenté la maigreur et l’obésité, l’influence de la diète sur le repos, le jeûne, etc. Il est remonté des effets aux causes.
Mais c’est aussi un narrateur d’innombrables anecdotes, un défenseur de la gourmandise, au style élégant et plein d’humour.
Brillat-Savarin livre ses observations sur certains aliments et préparations : le pot-au-feu et le bouilli, la volaille et le gibier, les truffes, le sucre, le café et le chocolat.
En véritable épicurien, il se satisfaisait des mets les plus simples, dès lors qu’il étaient faits avec art.
Il ne manquait pas de poésie, non plus : “Heureux chocolat, qui après avoir couru le monde, à travers le sourire des femmes, trouve la mort dans un baiser savoureux et fondant de leur bouche.”
Ses aphorismes les plus célèbres
• L’Univers n’est rien que par la vie, et tout ce qui vit se nourrit.
• Les animaux se repaissent ; l’homme mange ; l’homme d’esprit seul sait manger.
• La destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent.
• Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es. Un classique !
• Le créateur, en obligeant l’homme à manger pour vivre, l’y invite par l’appétit, et l’en récompense par le plaisir.
• La gourmandise est un acte de jugement, par lequel nous accordons la préférence aux choses qui sont agréables au goût sur celles qui n’ont pas cette qualité.
• Le plaisir de la table est de tous les âges, de toutes les conditions, de tous les pays et de tous les jours ; il peut s’associer à tous les autres plaisirs et reste le dernier pour nous consoler de leur perte.
• La table est le seul endroit où l’on ne s’ennuie jamais pendant la première heure.
• La découverte d’un mets nouveau fait plus pour le bonheur du genre humain que la découverte d’une étoile.
• Ceux qui s’indigèrent ou qui s’enivrent ne savent ni boire ni manger.
• L’ordre des comestibles est des plus substantiels aux plus légers.
• L’ordre des boissons est des plus tempérées aux plus fumeuses et aux plus parfumées.
• Prétendre qu’il ne faut pas changer de vins est une hérésie ; la langue se sature ; et, après le troisième verre, le meilleur vin n’éveille plus qu’une sensation obtuse.
• Un dessert sans fromage est une belle à qui il manque un œil.
• On devient cuisinier, mais on naît rôtisseur. Maintes fois cité par ma mère.
• La qualité la plus indispensable du cuisinier est l’exactitude ; elle doit être aussi celle du convié. Absolument.
• Attendre trop longtemps un convive retardataire est un manque d’égard pour tous ceux qui sont présents. Ah que oui !
• Celui qui reçoit ses amis et ne donne aucun soin personnel au repas qui leur est préparé n’est pas digne d’avoir des amis. Bien d’accord.
• La maîtresse de la maison doit toujours s’assurer que le café est excellent ; et le maître, que les liqueurs sont de premier choix. Un peu daté, non ?
• Convier quelqu’un, c’est se charger de son bonheur tout le temps qu’il est sous notre toit. N’est-ce pas ?
La Physiologie du goût recueillit immédiatement la faveur du public pour l’expression spontanée des saveurs. Brillat-Savarin a donc pris sa place parmi les grands classiques, à côté des Maximes de La Rochefoucauld et des Caractères de La Bruyère.
Quid du fromage ? Et du gâteau ?
Le brillat-savarin est un fromage français créé par la famille Dubuc en 1890, en Seine-Maritime, sous le nom d’Excelsior ou Délice des gourmets, mais l’affineur Henri Androuët l’a renommé vers 1930, en l’honneur du célèbre gastronome français Jean Anthelme Brillat-Savarin, sans l’accord de la famille. Le 19 janvier 2017, la Commission européenne enregistre comme indication géographique protégée (IGP) le nom de Brillat-Savarin. Fabriqué en Bourgogne, ce fromage triple-crème, doux au palais, se consomme jeune et frais. Avec 72% de matière grasse sur extrait sec dans le produit fini, réalisé à partir de lait de vache cru ou pasteurisé, c’est un fromage à pâte molle à croûte fleurie.
Baptisé en hommage au célèbre gastronome, le savarin, est fait de pâte levée comme le baba, moulé en couronne et arrosé, sitôt cuit, de sirop de sucre parfumé au rhum. On le garnit de crème pâtissière ou chantilly, de fruits frais ou confits. Il été créé par les frères Julien, célèbres pâtissiers parisiens du Second Empire.
Une vie de magistrat
Jean Anthelme Brillat-Savarin a reçu une solide éducation : outre le latin et le grec, il apprit à parler couramment l’anglais, l’allemand et l’espagnol. Il est aussi devenu un très bon violoniste et chanteur.
Après ses études d’avocat à Dijon, il rentra à Belley en 1780, pour y exercer le métier d’avocat.
Devenu maire de Belley, il a été envoyé comme député du tiers état pour le bailliage du Bugey aux États généraux, participa à la Constituante, puis à l’Assemblée nationale en 1789, où il s’est fait connaître en grande partie grâce à un discours public sur la défense de la peine de mort.
À la dissolution de l’Assemblée nationale, il est revenu à Belley pour reprendre sa fonction de maire, avant d’être destitué le 10 août 1792. Puis il retrouva son poste, mais décida de fuir devant les Montagnards dominants.
Il s’est d’abord réfugié en Suisse à Moudon, puis à Lausanne. Il est parti pour Londres, où il a donné des leçons de français. Puis, il s’embarqua pour les États-Unis (nouvellement formés) depuis Rotterdam le 8 juillet 1794 pour arriver le 1er octobre 1794, à New York. Il y a gagné sa vie en donnant encore des leçons de français et en jouant du violon : il a même été premier violon au théâtre de New York. Il a aussi séjourné à Philadelphie et à Hartford. Assuré de pouvoir rentrer sans crainte, il redébarqua au Havre en septembre 1796.
En 1800, nommé commissaire du Directoire auprès du tribunal de Versailles, il a été mêlé au fameux procès du courrier de Lyon. Il est décrit comme un “magistrat, de haute stature et de constitution athlétique… épicurien bienveillant, aimable et paradoxal…”
Enfin, il a été nommé conseiller à la Cour de cassation, poste qu’il occupa jusqu’à sa mort. C’est au sein de cette assemblée paisible, loin des tempêtes politiques, que Brillat-Savarin est devenu le législateur et le poète de la gourmandise. Il y rédigea le livre qui fera sa renommée : La Physiologie du goût, ou méditations de gastronomie transcendante, qui est sorti en 1825, bien que daté de 1826.
Mais une pneumonie l’emporta après avoir assisté à une cérémonie en mémoire de Louis XVI à la basilique Saint-Denis.
Œuvres
Jean Anthelme Brillat-Savarin a publié plusieurs travaux de droit et d’économie politique :
• Vues et projets d’économie politique, Paris, Giguet et Michaud, 1801.
• Essai historique sur le duel : d’après notre législation et nos mœurs, Lyon, Audin, pour la Société des médecins bibliophiles, 1919-1926.
• Théorie judiciaire, Paris, Huguet, 1808.
• Note sur l’archéologie de la partie orientale du département de l’Ain, dans Mémoires de la Société des Antiquaires (1820).
• Discours de Brillat-Savarin sur la manière d’organiser les tribunaux d’appel, Imprimerie nationale, Paris, 1790.
• De la Cour suprême, Teslut, Paris, 1814.
Vers la fin de sa vie (il y mentionne ses cheveux gris), Brillat-Savarin écrivit une nouvelle érotique qui ne sera publiée que bien après sa mort :
• Voyage à Arras, Liège, Dynamo, Pierre Aelberts, 1950.
Physiologie du goût fut réédité aux éditions Charpentier en 1838, avec, en appendice, le Traité des excitants modernes, de Balzac, puis, en 1839, avec un autre appendice : Physiologie du mariage.
2 commentaires
EGT 27 sept. 19
Et hop ! c’est l’occasion de se déguster un petit Brillat-Savarin !
Marie 29 sept. 19
Oh mais que oui ! Et celui de la photo m’a régalé...